"On incruste une pièce de joie exactement dans l'espace concave laissé vide par la douleur. Et l'inverse dans le creux du bonheur. Ce mouvement s'appelle exactement littérature. Le bruit délicieux signale le bon geste."

"Comment trace-t-on une route à travers la neige vierge ? C'est sa première phrase - la pire image, la plus banale, pour décrire le chemin d'un créateur. Mais ce n'est pas une image, il ne parle pas d'art, mais de torture quotidienne. Il donne le mode d'emploi précis : cinq ou six hommes marchent de front, s'orientant comme ils peuvent dans l'infini neigeux. Arrivés à un point, ils font demi-tour par le même chemin, de façon à piétiner la neige vierge, là où l'homme n'a encore jamais mis le pied. Dès que le premier s'écroule de fatigue, le deuxième prend la tête : ils doivent marcher à chaque pas sur de la neige vierge et non dans les traces d'autrui.

Et la route se trace. Les tracteurs suivent, des cohortes de gens s'engagent en carriole ou en limousines noires; mais, ajoute Chalamov, ces moyens de transport confortables, ils ne sont pas pour les écrivains, mais pour les lecteurs."

"Rentrez dans le temps devant vous de toutes vos fibres, une conscience accrue de ce que vous faites démultipliera votre puissance d'oubli. Votre mémoire devant vous, comme un projecteur sur le front. Une locomotive dans la neige, si vous êtes sportif. Une bougie dans un couloir de mine, si vous êtes plus fragile. Ou les deux. Pas la peine de créer une secte pour ça. Un stylo et un papier suffisent."

"Un poème bien vivant se replie d'un coup sec comme un canif de poche bien huilé, une portière de Rolls, une carabine."

"On doit oublier les livres pour garder seulement leur agitation."

[Olivier Cadiot]